I- PRESENTATION de l’organisation des JEP
« Faire passer sur notre patrimoine le souffle de la vie » : tel était, en 1984, le beau slogan retenu par le ministère français de la Culture pour la première édition de la « Journée Portes Ouvertes dans les monuments historiques ». C’est l’’année suivante , lors de la Deuxième Conférence européenne des ministres responsables du patrimoine architectural du Conseil de l’Europe (1), que Jack Lang proposa aux pays européens d’adopter la formule des Journées françaises et d’étendre la manifestation à toute l’Europe (Grenade (Espagne), le 3 octobre 1985).
En 1999, la Commission Européenne devint aussi partenaire de ces journées européennes du patrimoine (JEP)aux côtés du Conseil de l’Europe. Depuis, et dans toute l’Europe au mois de septembre, les 49 Etats (2) qui ont signé la Convention culturelle du Conseil de l’Europe participent aux JEP, et l’on estime qu’environ 20 millions de visiteurs se rendent dans plus de 30.000 sites et monuments participants.
Un programme commun, précis, définit le mode de pilotage, les choix d’organisateurs, les thèmes et les modalités d’organisation institutionnelle, bien rôdées aujourd’hui (Par exemple pour les questions de Sécurité, des budgets ou des partenariats potentiels). Un Guide technique épatant du Conseil de l’Europe conseille les pays et organismes qui souhaitent connaître en détail les règles du « Comment organiser les JEP ?». Le programme comporte quatre orientations : lesdates (en septembre et chaque année); l’objectif de faire découvrir le patrimoine « autrement » ; favoriser la fréquentation par un accès gratuit aux sites et enfin tenter d’utiliser les mêmes supports pour la communication dans l’ensemble de l’Europe.
– 1- Les dates : les organisateurs permettent de choisir le week-end en septembre : la Suisse, la Bielo Russie l’Azerbaïdjan, la République Tchèque, la Suède, l’ Autriche et Belgique ont choisi le premier ou le dernier week-end de septembre.
– 2- Visiter Autrement : les Journées européennes du patrimoine privilégient depuis leur création des visites du patrimoine « différentes des visites classiques » : tout ce qui est habituellement caché (les réserves, par exemple) sera privilégié, et seront ouverts au public des bâtiments et des sites ordinairement fermés à la visite. L’accueil devait être aussi “exceptionnel”, convivial, voir festif, pour briser les timidités ordinaires des non-spécialistes. Voilà pourquoi, sans doute, on trouve aujourd’hui de nombreux sites qui ne sont pas réellement des sites du patrimoine mais, comme ils sont invisitables le reste de l’année, y accueillir le public rentre peu ou prou dans les critères des journées. Les studios de télévision FR3 de Normandie sont dans ce cas.
– 3- Des programmes innovants et adaptés aux différents visiteurs: dans le cas de monuments, musées ou sites ouverts le reste de l’année, l’organisation des JEP propose d’innover avec de nouveaux services, de nouvelles activités, différentes de la programmation habituelle (visites guidées à caractère exceptionnel, expositions, concerts, spectacles, conférences, jeux etc.).
– 4- La gratuité les Journées européennes est aussi un impératif, pour que le prix ne soit pas une barrière pour les plus démunis. En cas d’impossibilité, les tarifs proposés doivent être réduits.
II- OBJECTIF : SOLIDARITE EUROPENNE !Les pays européens ont officiellement un objectif : sceller des solidarités ente pays européens, autour du thème fédérateur de leur patrimoine national. Cet objectif a été peu à peu perdu de vue, tout particulièrement ces dernières années, où la solidarité européenne a souvent été mise à mal pour que les populations puissent échanger et partager les mêmes valeurs. Le programme du Conseil de l’Europe a d’ailleurs un slogan : « L’Europe, un patrimoine commun » et la volonté de l’exposer aux publics, avec , mais cela fait sourire aujourd’hui, des idées de communication à a clef : « Le drapeau portant le logo des Journées européennes du patrimoine a vocation, à terme, à flotter sur l’ensemble des bâtiments ou sites associés à la manifestation ». »En d’autres termes, il s’agissait , dans le droit fil de la Convention-cadre sur la valeur du patrimoine culturel pour la société adoptée à Faro, Portugal, le 27 octobre 2005, d’affirmer que « les patrimoines culturels constituent une ressource sur la base de laquelle peuvent s’instaurer le dialogue, le débat démocratique et l’ouverture entre les cultures »
III- L’ECHEC …L’évaluation 2010 du Conseil de l’Europe est assez sévère : les objectifs de” renforcer le dialogue interculturel, de combattre le racisme et la xénophobie, d’affronter, ensemble, entre pays européens, les nouveaux défis sociaux, politiques et économiques” ont largement disparu, aujourd’hui, des objectifs nationaux, au profit de la découverte du patrimoine national : « Toutefois, malgré le succès des opérations nationales « Portes ouvertes », on ne constate pas de renforcement de la dimension européenne : dans l’ensemble, les manifestations sont de nature locale. Il n’en demeure pas moins qu’il est préoccupant d’observer que les éléments européens et les objectifs politiques et sociaux plus larges du CoE continuent d’être absents ou de rester dans l’ombre dans bon nombre des 50 pays participants. » –Voir le Rapport de Susan Williamson, 02 novembre 2010 sur L’avenir des Journées européennes du patrimoine.
IV- ET LA REUSSITE !LES JEP EN CHIFFRES
– a) Puissance de la communication : on estime donc qu’environ 20 millions de visiteurs se rendent , en Europe, dans plus de 30.000 sites et monuments participants.
– Ce que ne soupçonnait pas l’Europe, c’est que la puissance de la filière serait toute entière mobilisée pour cette opération. En France, la filière du Patrimoine emploie 400 000 personnes, rapporte 15 milliards par an (retombées économiques) , et 40 000 monuments sont protégés ou classés, même si un tiers seulement est ouvert aux publics. Pour l’Etat, pour les communes, leurs groupements, les départements, les propriétaires privés, les JEP offrent une opportunité de communiquer grâce à leur patrimoine. Et, nous le verrons, l’échelon local a amplement pris le pas sur l’objectif de fédérer les visiteurs européens.
b) L’afflux des visiteurs est remarquable : en France, le ministère a annoncé 12 millions de visiteurs de l’édition 2011, et un succès de plus en plus grand pour les trésors et autres lieux vénérés des habitants , comme Versailles ( 44 000 visiteurs) l’Elysée – plus de 20.000 visiteurs l’an dernier- le Sénat, l’Hôtel de Ville, – Matignon, l’Observatoire ou la Sorbonne à Paris. Même si les habitués, “fans de patrimoine” sont les plus actifs, sac en bandoulière et marche rapide assurée, les organisateurs proposent ces jours-là des visites bien adaptées aux enfants, aux familles , et même si certains n’iront jamais, ils sont contents que ces moments festifs existent.Bref, au moins une fois par an, “Tout le monde en parle!”.
c) Pas d’évaluation Malheureusement, la moitié des pays participants ne font aucune évaluation sérieuse de ces Journées. La France, par exemple, ne renseigne même pas les fiches prévues par le Conseil de l’Europe. Il faut donc, pour notre pays, se contenter des déclarations des ministres qui recueillent « a chaud », chaque année, les résultats à la fin du week-end. Et chaque année c’est la même histoire : « Succès incroyable des Journées du patrimoine ! » dès le soir même sur toutes les ondes et les écrans, alors même que les dispositifs d’évaluation quantitative et qualitative sérieux ne sont pas en place. On imagine facilement que, pour « assurer », les propriétaires publics et privés des monuments doivent systématiquement afficher un chiffre supérieur d’année en année. Et on espère qu’ils n’avaient pas mis la barre trop haut la première année, pour que le dernier chiffre soit plausible.:-)
V- PAS DE VISITEURS INTERNATIONAUX ! En fait, les communes et les départements se sont tournés vers un public de proximité et non vers celui d’une manifestation internationale. Aujourd’hui les JEP deviennent de plus en plus locales, et chaque ville peut créer sa propre son affiche, son propre programme en lien direct avec ces habitants de proximité. Les références aux organisateurs historiques (Europe, France) peuvent même disparaître, comme on le voit ici pour l’affichage de Nantes et de Lyon :
Pour les visiteurs français et étrangers, dont les visiteurs européens, nous n’avons même pas trouvé cette année de petits forfaits pratiques, ceux qui permettent de visiter facilement et à coût réduit une ville ou un département si l’on habite à l’autre bout de la planète. Les Offices du Tourisme ont placé les JEP dans leur mission « animation locale » et non dans l’attractivité de l’opération et du patrimoine pour des visiteurs étrangers. On peut s’en étonner, et le déplorer : quand on a un patrimoine qui représente plus de 15 milliards de retombées économiques, comment et pourquoi ne pas en profiter ?(Voir le schéma ci-dessous, VII).Valoriser ce patrimoine en communiquant auprès des relais des visiteurs touristiques permettrait d’augmenter les budgets culturels, de faire davantage d’actions auprès des publics, à commencer par les publics les plus défavorisés pour l’accès à la culture classique. Et de conforter la “Destination France”, qui en a bien besoin depuis 2011. Se priver de cette valorisation est, à notre avis, un non-sens. La ministre Silvia Pinel a d’ailleurs fait une intervention, le 14 septembre, à ce sujet! (Voir en note (3) l’extrait de sa communication, en bas de ce billet)
VI- CETTE ANNÉE, LE PATRIMOINE CACHE : l’exemple du Grand Lyon
cette année, le « Caché » étant comme d’habitude à l’honneur, une Opération « Sorties de réserve » des œuvres des musées a pris, par exemple, un côté sensationnel que vont adorer des visiteurs-voyeurs du Grand Lyon. Le Muséum de Lyon a ressorti des réserves ses animaux « monstrueux », comme «le veau cyclope et dépourvu de pattes antérieures, les chats siamois, la poule à trois pattes et d’autres animaux encore, qui ne sont plus exposés depuis 1999″. Et les JEP communiquent sur ce nouveau coming out des “monstres , êtres présentant d’importantes anomalies congénitales” qui seront à nouveau dévoilés au public” par le Muséum, en collaboration avec l’Ecole Nationale Vétérinaire de Nantes.
– “Poser un autre regard sur le territoire du Grand Lyon” La communication sur la politique de création/réorganisation complète du Grand Lyon via son urbanisme est aussi à l’ordre du jour des JEP, avec un programme qui fait la promotion des nouveaux territoires en construction. Le grand Lyon organise des circuits de visite sur ses architectes utopistes (T.Garnier, Le Corbusier, ceux de la cité des Étoiles de Givor…) et leur importance historique, qui semble valider les ambitions et les grands projets du maire actuel. On pourra en particulier visiter la ville au fil de l’eau, thème central du projet d’urbanisme du futur quartier de la Confluence, ainsi que le chantier du futur musée des Confluences, qui va bien finir par être inauguré. En savoir plus en regardant les coups de cœur, ou en allant ici et là.
Pour trouver un site ou un monument à visiter ce week-end, si vous avez de la patience voici le site officiel pour la France: http://www.journeesdupatrimoine.culture.fr/fr/le-programme/recherche-geographique, mais comme plusieurs régions et donc des centaines de villes n’y figurent pas, ainsi que les modifications de dernière heure, je vous conseille plutôt de lire un journal de votre région ou de votre ville. Tous les journaux font des “Pages” ou des “Dossiers spéciaux ” à l’occasion des JEP! Vous trouverez des idées insolites, des visites en famille, des nocturnes, bref, de quoi profiter! Bonne visite!
VII- CONCLUSION : Quel avenir pour les JEP ?
Communiquer les JEP à l’étranger et faire davantage participer les citoyens aux JEP ? Une évidence !
On peut déplorer les deux constats suivants:
– 1- Celui de ne pas mettre ces JEP dans la boucle du tourisme culturel, par la promotion des JEP à l’étranger (cf.V, ci-dessus, et note (3)en bas du billet ).Les chiffres, pourtant, devraient y incite fortement:
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Il est bon de relire votre article une décennie plus tard pour se remémorer les intentions initiales de cette manifestation culturelle européenne réduite plus que jamais à l’échelon local ! Merci pour votre travail et votre réflexion.
Auteur
Merci, Cher Hugues de votre appréciation que je partage complètement : aujourd’hui des modèles ont vieilli, et on n’a peut-être moins l’envie de célébrer le patrimoine. Il faudrait, à mon humble avis,revisiter les relations avec les habitants, et inventer milles plaisirs! Par exemple qu’ils puissent, avec un peu d’humour, gagner “une nuit dans un château” pour y diner et y dormir en grande pompe (les néerlandais l’ont fait à Amsterdam!); Ou encore mixer patrimoine et tous les autres arts, ou permettre des journées de peintres et photographes amateurs, du spectacle vivant. Bref “visiter”, tous les fans n’ont pas besoin des JEP pour le faire. Alors demandons aux habitants des projets, on sera sans doute surpris de leur respect pour le patrimoine et de leur imaginations! Autres pistes : mettre davantage à l’honneur le “patrimoine immatériel” : façons de faire, de dire, coutumes, en régions mais aussi dans toute l’Europe! Bref, toutes les idées devraient venir du terrain, pas d’es professionnels qui font ce qu’ils savent faire, mais moins souvent ce qu’il “faudrait inventer” pour que les gens adhèrent et participent vraiment activement! Encore merci pour votre participation et belle journée!
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