Habitants et Touristes : le clash !

Hope painting, Robert Indiana

Hope painting, Robert Indiana

Et voici aujourd’hui un texte très intéressant, qui décrit les causes de la détestation du Tourisme par les français eux-mêmes. Le fait que cette activité serait composée de « services », mot détestable, classé « bas de gamme » dans notre imaginaire. Nous lui préférons des tâches « nobles », celles établies dans la « logique de l’honneur », qui n’évoque ni profits, ni bénéfices, ni surtout cette forme de « prostitution» de notre notre culture si l’on doit la mettre « au service des étrangers ». Et il y a pire : le touriste est notre bête noire ! Il n’a pas l’aura du « voyageur », qui lui est curieux, courageux et parfois héroïque car il recherche l’Aventure, épreuve pour son corps mais aussi pour son âme, dont il sortira grandi. Le Touriste, par contre, est un être bête (mouton; troupeau…), dangereux (hordes, tsunami, envahisseurs…) ; timoré (sur encadré de guides en tous genres).
Et pourquoi se donner du mal, de toute façon, puisqu’il ne comprendra rien? Car Visiter « en touriste », c’est survoler, ne voir que l’écume des choses, trop rapidement, de façon superficielle.
Le Touriste Culturel est une calamité : on ne peut l’enseigner!
Pour compléter le tableau des ingénieurs, ajoutons que le tourisme vu par la majorité des acteurs de la culture souffre enfin de ce défaut majeur qui fait du touriste un être irrécupérable, à jamais , car on ne peut l’enseigner!
Là où tout notre système – les musées, les monuments, les Beaux-Arts.. – est construit sur le principe « Venez et admirez, et si vous ne savez pas pourquoi nous allons vous le dire ! »- une politique de l’offre, en français courant-, les touristes nous désespèrent.
Jugez vous–mêmes : ils ne parlent pas toujours notre langue ; ils préfèrent aller tout droit vers les chefs d’oeuvre ; ils n’ont pas le temps de TOUT voir ; ils ne retiendront même pas ce que unnamed (1)l’on dit ou écrit ; ils demandent parfois « Où est le restaurant le plus proche ? » ; ils prennent des photos au lieu de déguster les œuvres ou les monuments, c’est tout dire !
Bref, le choix des pros de la culture est vite fait : “Vite, donnez-nous des enfants des écoles, plus dociles et à qui ont peut « apprendre » ! Donnez-nous des “Téléramas”, des “bac+”, qui ont déjà des « bases » ! Donnez-nous des publics « défavorisés », qui ont tout à apprendre ! C’est tout de même plus valorisant d’apprendre que de “répondre aux « besoins” des touristes étrangers »,non ? “. Désirs de pros où l’on retrouve notre hantise française de la servilité expliquée ci-dessous par de nos deux ingénieurs des Mines, hantise soutenue, en plus, par une bonne dose de xénophobie. Nous voulons garder la main, “faire oeuvre” pédagogique, rester les maîtres du jeu,  choses impossibles avec les touristes.

Laissons la parole aux deux inventeurs du « Mythe du laquais «, Julien Barnu et Amine Hamouche,, qui concluent que plutôt que de mettre le paquet sur l’image et la marque France à l’étranger, nous devrions surtout commençer par convaincre les français que la dégringolade constante de notre tourisme, depuis quelques années,  est une véritable catastrophe nationale. Et que mieux les accueillir devrait être une idée partagée par tous nos habitants.Lille, citée par nos deux auteurs, mais aussi, selon nous, Nantes et le Grand Lyon, la région Normandie ou le Département de la Loire-Atlantique, avec cent autres exemples racontés dans ce blog, montrent que cela est possible ! Voici un résumé de leur texte, “Le mythe du laquais”.

LE MYTHE DU LAQUAIS
Le tourisme n’est pas un sujet politique majeur en France. C’est tout le contraire aux États-Unis, où le président Obama n’hésite pas à en clamer les bienfaits haut et fort, comme dansson discours à Disney World en janvier 2012 : « Tourism is the number one service that we export. Number one. And that means jobs. » Qu’un tel discours n’ait jamais été prononcé en France, où la place du tourisme dans l’économie est pourtant plus grande qu’aux États-Unis (seulement 3 % du PIB américain
contre 9 % du PIB français), peut sembler étonnant. Pour le comprendre, il faut se pencher sur les spécificités culturelles de chaque pays qui, tout autant que les enjeux économiques, façonnent le discours politique. Selon les mots de Philippe d’Iribarne dans La logique de l’honneur 3, « on ne peut gouverner sans s’adapter à la diversité des valeurs et des moeurs ». Or, la société américaine est régie par une culture du contrat fondée sur des échanges libres et équitables entre égaux, tandis que la France est régie par une logique de l’honneur qui repose sur un clivage permanent entre ce qui est noble et ce qui est vil.(…)
PBP_Idiot_du_voyage_PAYOT Pt Bibli - Idiot du voyag– Le Tourisme , c’est la servilité
C’est pourquoi, selon Philippe d’Iribarne, « les activités impliquant une prestation de service sont, dans une société régie par l’honneur, source de difficultés ». Si le citoyen américain est susceptible de percevoir le tourisme comme une activité digne car profitable, le citoyen français, à l’idée du service aux touristes, lui associe la notion de servilité.
Notre logique de l’honneur façonne notre façon de penser le tourisme. Nous incitant souvent à préférer le noble au profitable, elle est à l’origine d’un des grands problèmes du secteur : nos recettes touristiques ne sont pas à la hauteur de notre statut de première destination mondiale parce que nous
refusons de mettre en avant des activités peu nobles comme le shopping touristique ou l’organisation d’un feu d’artifice au nouvel an, et plus généralement la mise en spectacle de notre patrimoine qui est vécue comme une forme de prostitution.
– Un secteur économique
Dans la culture française, plutôt que les notions de richesse, d’emplois et de profits, le tourisme évoque au contraire la pauvreté, l’image d’un pays peu compétitif, ayant davantage de ruines à valoriser que de produits à exporter. Cette peur se manifeste souvent dans le discours politique
Jean-Pierre Chevènement déclarait en 2012 « qu’il n’est pas question que notre pays devienne un pays musée, un immense parc d’attraction dans lequel nos enfants et petits-enfants serviraient des cafés à des guerriers économiques fatigués qui viendraient de Chine, du Japon, des États-Unis… ». Un an plus tard, Arnaud Montebourg, prônant la réindustrialisation devant les membres du Medef,affirme qu’il est hors de question que notre pays devienne « un magnifique hôtel Resort & Spa, avec un littoral, des stations de ski, des musées et Disneyland ! »(…)
– Le touriste est “nuisible”
Rarement étudiée, l’image qu’ont les Français du touriste est également un frein majeur au développement du secteur. Comme l’explique le sociologue Jean-Didier Urbain, le touriste est vu en France comme un « faux voyageur, vulgaire et surtout nuisible. (…) 
– Une nécessaire évolution des mentalités
Ce n’est pas la communication externe (promotion de la destination France à l’étranger) mais bien la communication interne (sensibilisation des Français au moyen de campagnes adaptées à leurs blocages culturels) qui doit être prioritaire. Cette idée a déjà été appliquée dans d’autres pays, et même en France à échelle locale, avec des résultats très positifs.

L’article décrit ensuite comment en Corée, en Jordanie et même en Espagne des campagnes pour rapprocher habitants et touristes ont été conduites avec succès. Enfin, pour la France, les auteurs ont choisi Lille 2004 comme “bonne pratique”:

unnamed– L’exemplaire succès touristique de Lille 2004 s’explique également par la conscience touristique que ses maires successifs ont progressivement su y créer, en impliquant l’ensemble des acteurs locaux. Ainsi, dès 1999, le Plan Local d’Action Tourisme du Conseil communal de concertation de la ville de Lille se réjouit qu’en l’ayant impliqué « dès l’origine du projet, l’adjointe au Tourisme a manifesté clairement sa volonté d’associer toutes les forces vives de la société civile à la construction d’un plan qui intéresse effectivement tous les acteurs de la vie lilloise ». L’événement Lille 2004 a enregistré 9 millions de visiteurs et 17 000 ambassadeurs impliqués dans la préparation des événements.
De même, il faut préparer les Français à recevoir un discours politique fort sur le tourisme pour que ce dernier puisse être recevable. Sans effort soutenu pour créer une conscience touristique à l’échelle de notre pays, tout donne à penser que l’industrie touristique va continuer à y décliner. Si nous continuons à faire du tourisme en cachette, en considérant que c’est un secteur qui fonctionne tout seul, nous continuerons à perdre des parts de marché et à voir la France dégradée dans les classements internationaux. En revanche, un effort lucide, plus psychologique que financier, pourrait se révéler d’une grande rentabilité.
Julien Barnu et Amine Hamouche, ingénieurs des Mines

 

 

Voir le texte complet de l’article  : Tourisme : comment échapper au mythe du laquais, par Julien Barnu et Amine Hamouche,ingénieurs des Mines- Les Annales des Mines, Gazette de la Société et des Techniques – n° 74 – Novembre 2013. Vous avez accès à tous les articles de cette Gazette, que vous pouvez télécharger gratuitement, ICI pour l’année 2014, les années précédentes ayant  une entrée sur cette page.
Art upKEN LE TOURISTE PARFAIT
Bon, lui dit Barack, viens vite, Ken, nous avons le président français au dîner ! Et alors? pensa Ken, qui entre trois palaces et six jets privés, ses Affaires et les caprices de son ex, Barbie Chérie, était tout de même assez pris ces temps-ci…Mais il comprit vite pourquoi son ami l’avait appelé : Barack lui tendit dès son arrivée une liste de personnalités – rien que des filles ! – en lui demandant de choisir CELLE qui serait la plus appropriée comme…voisine de François le Français durant le repas… Of course, your Curator ! répondit Ken en conseillant la conservatrice de musée. Barack le remercia, car ce choix culturel correspondait bien à ce qu’on lui avait dit des goûts personnels du président.Trop fort, mon Kenou chéri…pensa-t-il avec affection.

LES PHOTOS DU BILLET  ET DE KEN  : en haut, Hope painting, Robert Indiana (Corbell Gallery, 137 bvd haussmann, Paris). En bas : notre conseil d’exposition en ce moment: Art up! Foire d’art contemporain, du 13 au 16 vévrier 2014, Lille, Grand Palais.

Photos dans le texte :  : l’Idiot du voyage, à lire pour vous libérer de  toutes vos représentations stupides du Touriste (Ed. payot),écrit par le merveilleux Jean Didier Urbain. “Le Voyage à Nantes”, ville exemplaire, photo de la Newsletter du 13 février:Une fourmi de 4m… à Nantes, ça existe !Après leur traditionnelle pause annuelle, les Machines de l’île réouvrent et vous invitent, dès le samedi 15 février, à la découverte d’une nouvelle création : la Fourmi géante.Dans ce bestiaire mécanique qu’est la Galerie des Machines, la Fourmi géante côtoie, à présent, le Héron de 8 mètres d’envergure ou encore la Chenille arpenteuse. Le public peut prendre les commandes de cet insecte mécanisé pour une traversée de la Galerie : 4 passagers actionnent alors les pattes, la tête et les mandibules tandis que 2 machinistes la cornaquent, l’un au sol et l’autre assis à l’avant de l’animal.À dos de Fourmi ou sur la terre ferme, cette visite est l’occasion de découvrir ou re-découvrir tout le processus de construction du Grand Éléphant, du Carrousel des Mondes Marins et les recherches actuelles sur l’Arbre aux Hérons. ” Séjour linguistique à Nantes du 14 au 27 juillet 2014 : Vous souhaitez développer vos compétences linguistiques et communicatives en langue française ? Joignez l’utile à l’agréable avec un séjour à Nantes : entre cours en classe et escapades, partez à la découverte de la culture française dans une ville d’audace, de création et d’innovations. Tentez l’expérience du Voyage à Nantes !En savoir plus sur ces cours d’été,   ICI!

 

 

2 Commentaires

3 pings

    • elbée sur 14 février 2014 à 22 h 43 min

    Merci pour cet article très intéressant, même s’il force un peu le trait pour mieux mettre le doigt où ça fait mal.
    Je ne crois pas tellement à un problème des habitants avec le tourisme (encore que), mais je vois surtout un énorme problème des acteurs du tourisme (au sens large: hôteliers, restaurateurs, cavistes,… guichetiers de gare, métro…) avec le fait de faire partie d’un secteur d’activité qui demande à être au service du touriste. Qui, soit dit en passant, peut très bien être un touriste français ou même juste un client.

    J’ai la très désagréable impression que c’est surtout dans les régions très touristiques où les professionnels se disent qu’ils n’ont pas d’effort particulier à faire puisque quoi qu’ils fassent les touristes viendront toujours. Ce n’est pas très professionnel comme comportement.

    C’est vrai qu’après la lecture, cela me semble évident: pourquoi avoir fait la révolution, si c’est pour être au service de qui que ce soit, n’est-ce pas ?

    Il y a donc du chemin à faire…

    • elbée sur 14 février 2014 à 22 h 50 min

    J’ai oublié un point important: il me semble qu’il nous est particulièrement pénible de faire notre auto-critique, alors que nous adorons nous taper sur l’épaule en nous félicitant d’être LA première destination touristique au monde… Ouahh, voilà, on est les meilleurs – pourquoi donc se poser des questions ?

  1. […]   […]

  2. […] par Evelyne LehalleEt voici aujourd’hui un texte très intéressant, qui décrit les causes de la détestation du Tourisme par les français eux-mêmes. Le fait que cette activité serait composée de « services », mot détestable, classé « bas de gamme » dans notre imaginaire. Nous lui préférons des tâches « nobles », celles établies dans la « logique de l’honneur », qui n’évoque ni profits, ni bénéfices, ni surtout cette forme de « prostitution» de notre notre culture si l’on doit la mettre « au service des étrangers ». Et il y a pire : le touriste est notre bête noire ! Il n’a pas l’aura du « voyageur », qui lui est curieux, courageux et parfois héroïque car il recherche l’Aventure, épreuve pour son corps mais aussi pour son âme, dont il sortira grandi. Le Touriste, par contre, est un être bête (mouton; troupeau…), dangereux (hordes, tsunami, envahisseurs…) ; timoré (sur encadré de guides en tous genres). Et pourquoi se donner du mal, de toute façon, puisqu’il ne comprendra rien? Car Visiter « en touriste », c’est survoler, ne voir que l’écume des choses, trop rapidement, de façon superficielle.Lire la suite sur le site https://www.nouveautourismeculturel.com/blog/2014/02/13/habitants-et-touristes-le-clash/  […]

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