Pour votre rentrée, quoi de mieux pour vous donner de l’énergie que la belle histoire de Nantes, devenue la meilleure ville du tourisme culturel?
Aujourd’hui je résumerai pour vous un excellent petit livre sur la transformation de la ville depuis les années 80, qui nous raconte, étape par étape, les démarches et l’énergie déployées par les élus, les professionnels et les artistes. Comment fut possible la réussite de Nantes? Quels sont les secrets de cette réussite? Quel fut le jeu des acteurs, la réception des nantais? Et demain?
« Réenchanteur de ville, Jean Blaise » , écrit par le journaliste Philippe Dossal , retrace l’aventure et les choix d’une ville et de ses voisines. Le choix d’une culture ouverte, qui s’adresse aux habitants comme aux visiteurs touristiques et n’a pas besoin de monuments ou de médiateurs pour être comprise et aimée par tous.Une histoire incroyable!
I- 30 ANS DE COLLABORATION entre élus, artistes et Services de la Ville, entreprises, commerçants, industriels, maraîchers, ouvriers et étudiants, c’est tout de même assez rare! Voici les différentes étapes de ce long parcours, qui fait venir aujourd’hui des millions de visiteurs « pour voir et vivre » la culture dans la ville ou sur la Loire :
– Nantes avant cette histoire, dans les années 70, est une ville qui a beaucoup perdu : la construction navale est à l’agonie et les industries agro-alimentaires ont été rachetées par des groupes internationaux et une partie de la jeunesse est en exil sur un lointain campus.
– 1982 : Jean Blaise est recruté par la ville pour préfigurer une nouvelle « Maison de la Culture », avec un un projet qu’il ne changera jamais, au fond : s’ appuyer sur les forces vives de la ville, faire connaître la culture venue d’ailleurs, décloisonner les petites boites où s’enferment les disciplines ( art contemporain ou cirque, théâtre ou danse, arts de la rue, musique classique ou musiques dites populaires).
– « Aujourd’hui réapparait cette idée de la nécessité des échanges, des contacts, des mélanges. L’on parle de convivialité, d’interdisciplinarité, de stimulation. Il ne s’agit ni plus ni moins que de créer des courants novateurs par le métissage » », écrit Jean Blaise en 1983.Il part donc à la rencontre du public, mais pas dans la Maison de la Culture, plutôt dans les rues de la ville, dont il aime les profondeurs, la poésie, les habitants.
– 1983 : fédération d’un réseau d’élus de villes périphériques avec la banlieue de Nantes, Rezé et Saint-Nazaire, La Roche-sur-Yon, qui poursuivent l’aventure grâce à la volonté de leurs élus (Joël Batteux, Jacques Auxiette, Jacques Floch…) sur des projets culturels puis création du CRDC, centre de développement pour le développement culturel avec une mini-équipe de 6 personnes. Première intervention de Royal de Luxe, avec La demi-finale de Waterclash à Saint-Nazaire, intervention complètement surréaliste et qui sidéra des spectateurs conquis par une longue parade/spectacle restée dans toutes les mémoires. Du « jamais –vu », car jamais il ne faut faire la même chose, autre secret de fabrication. Ne pas se répéter deviendra un light motive, pour ouvrir d’autres horizons, apporter des vents nouveaux au souffle des villes, de leurs périphéries ou des campagnes.
– 1990-1996 Les Allumées sont un projet très clair : “Pendant six ans, les artistes de six villes étrangères apporteront leur contribution à la Ville de Nantes de six heures du soir à six heures du matin!” Nouveau format, encore, et qui donnera le meilleur :
– Barcelone avec les artistes de La Fura dels Baus et ceux de Carles Santos, dans toute la ville, avec une prédilection pour ses friches, coins abandonnés et chargés du passé, lieux périphériques que l’on atteint en bus à trois heures du matin ; ou encore des lieux à l’envers, comme un cinéma « sleep » avec des lits à la place de fauteuils. Dérision, humour, ambiance bon enfant : des milliers de visiteurs et tout le monde se parle…
– Léningrad/Saint Pétersbourg, l’année suivante, avec 300 artistes venus en cargo et éparpillés dans la ville ; Buenos Aires et la « psychanalyse » de 356 personnes allongées qui précisaient leurs ‘images de la ville de Nantes » ; enfin Naples et ses cours de cuisine avec mandolines sous les balcons puis les 300 artistes du Caire qui firent danser les jeunes des cités périphériques. La dernière invitation à Havane, hélas, fut annulée par le refus de Cuba de laisser partir les 320 artistes choisis, et remplacée par une semaine de débats intenses à Nantes.
– 1995-2000 Lieu Unique, l’ancienne usine LU, est tout d’abord réhabilitée avec le concours de l’équipe du CRDC (Patrick Bouchain, Architecte) qui travaille déjà dans les lieux, pour accueillir tout à la fois un bar, un restaurant, une librairie, une crèche, un espace d’exposition, une salle de spectacle, des bureaux et un hammam. Lieu Unique est ouvert de 11h à 2 heures du matin et lancera la mode de lieux alternatifs « à peine retouchés », où les marques du temps sur les murs, la toiture et les différentes fonctions des espaces doivent être conservés donc savamment grattés, assainis et restaurés plutôt que « relookés » avec minimalisme. Pas de mobilier high tech, non plus, pour éviter l’aseptisation et la monotonie qui gagne les sites culturels et font qu’ils finissent par tous se ressembler..
– D’autres formes sont expérimentées, dont La Folle Journée de Nantes, organisée par René Martin, qui est la plus connue : elle a entièrement revisité les codes et la présentation des concerts de la musique classique. Citons d’autres exemples de « nouveaux formats », comme en 1996 : Trafics et les Quarts d’heure ; ou Cuisine et performances en 1997 ; Fin de Siècle avec Johannesburg invitée, puis New –York. La Nuit Unique proposa, en 2003 une question aux nantais qui veulent venir en débattre en s’adressant à eux : « Quelle place tient l’art dans la vie de chacun ? Environ 15% de la population fréquente régulièrement les lieux dédiés aux arts et à la culture. Pourquoi les 85% restants ne le font-ils pas ? Venez en discuter à l’occasion d’un grand dîner », lequel comportait 1000 places. Même appel à tous les nantais pour le Grenier du siècle, où 11 855 objets choisis par les habitants comme représentatifs de leurs vies et du monde sont mises en boites ou en bidons, qui seront scellés et ne seront ouverts qu’en que le 1er janvier 2100.
– Enfin la demande est toujours très forte à l’étranger et à Paris pour inviter les organisateurs et artistes de ces manifestations culturelles, et Jean Blaise conseillera le maire de Paris pour y créer la Nuit Blanche.
II- ESTUAIRE est aussi une très belle aventure car les artistes ont travaillé sur 40 kilomètres, entre Nantes et Saint-Nazaire. Nous avons déjà souvent évoqué ce petit chef d’oeuvre d’organisation dans ce blog, et sa longue préparation auprès des communes, associations, entreprises ou institutions proches de l’estuaire de la Loire, plusieurs années avant la programmation de l’opération. Alors rappelons seulement que c’est le contraire de ce que l’on voit généralement ailleurs, le contraire de ces parcours urbains ou ruraux parsemés d’œuvres d’art placées un peu au hasard, choisies on ne sait comment ni par qui ni sur quels critères, l’essentiel étant qu’elles égayent la visite d’un site naturel ou la randonnée sportive.
– Pour donner du sens à Estuaire, un nouveau défi, politique, attend des réponses culturelles: comment redonner du sens à la Loire entre les deux villes, si différentes ? Comment reconquérir l’espace abandonné ? Faire lien avec les futurs projets d’aménagement urbain ou rural ? Les élus de la région, les aménageurs qui avaient vu cet estuaire se dégrader peu à peu, avec des navires de gros tonnage, des berges inaccessibles, une nature négligée – malgré sa très grande beauté- et inconnue du million d’habitants tout proches.
– Les équipes pour concevoir cette mise en valeur de la Loire se forment, avec une temporalité : il y aura 3 éditions d’une Biennale d’art, pendant 6 ans . Et leurs méthodes habituelles de concertation pour, comme avait dit Jean Blaise , « choisir les meilleurs artistes » ( Jean de Loisy fut l’organisateur de la programmation)et que, peu à peu, chaque lieu « invente sa propre vie ».Pour chaque installation, l’artiste devait entre en correspondre plus ou moins au projet d’ensemble, celui de redécouvrir un morceau de la Loire, un port ou un site naturel magnifique mais inaccessible ou carrément abandonné. Les riverains du lieu ont été sollicités non pas sur ce qu’ils voulaient ( artistes, types d’œuvres…) mais sur ce qu’ils pensaient par exemple de leur passé dans ce lieu, sur leurs habitudes, leurs façons de le vivre, ou non, leurs espoirs pour le futur.
– Etablir des correspondances, étonner, amuser et provoquer des questions : tout le parcours est une succession d’imaginaires (Celui des artistes) et de surprises (pour le visiteur).Les élus des toutes petites communes, les associations de protection de l’environnement, le Conservatoire du Littoral, le Port autonome et les riverains ont coproduit Estuaire avec les organisateurs (Jean Blaise, Daniel Sourt, Jean-Luc Courcoult mais aussi Laurent Théry, géographe et urbaniste et la SAMOA, société d’économie mixte qui gère l’urbanisation de l’Ile de Nantes)pour régler le questions de l’occupation du domaine public ou du montage des œuvres. Laurent Théry, en charge de l’aménagement de l’Ile de Nantes avec le paysagiste Alexandre Chemetoff verra donc la manifestation Estuaire intégrer la pointe de l’Ile dans sa première édition. Voir les œuvres et les artistes, ICI
– Le bilan est très positif, avec un public ravi. Un public très important dès la première année avec des centaines de milliers de visiteurs et un grand brassage social qui mélange amateurs d’art ou de nature, randonneurs ou touristes étrangers d’un jour, groupe de croisiéristes ou de cyclistes. Ce succès public était inattendu, alors que, pourtant, l’association de plusieurs centaines d’habitants/entreprises locales, grosses ou petites, artistes et élus qui avaient participé à la gestation du projet, représentait à lui-seul autant d’ambassadeurs très impliqués !
III- FUSION TOURISME ET CULTURE, une décision politique
La communauté urbaine de Nantes devenue Nantes-Métropole devait rationnaliser son organisation, regrouper les offices de tourisme de l’agglomération, par exemple, et le maire de Nantes-Métropole, Jean-Marc Ayrault ainsi que Benoist Pavageau, le Directeur général de Nantes Métropole, proposèrent en 2011 la « création d’une structure regroupant Nantes Tourisme, Nantes Culture, Patrimoine et Estuaire dans une structure unique » qui fusionnerait aussi ses atouts et mutualiserait ses moyens, explique Astrid Gingembre dans l’ouvrage (p.108). Evidemment cela ne se fit pas sans difficultés, car «faire cohabiter culture et tourisme dans une même entité apparaissait être à certains une sorte de dévoiement de la culture »(p.109).Jean Blaise fut donc sollicité, quitta la direction de Lieu unique avec ses trente cinq personnes pour la nouvelle entité qui regroupait deux cents employés et de nombreux métiers.
IV- LE VOYAGE A NANTES, nom de la nouvelle structure, était né, avec un vrai nouveau projet , « La ville renversée par l’art », qui est en quelque sorte l’aboutissement des séquences précédentes avec un vrai parcours artistique nantais( que nous avons présenté dans ce blog) et un projet pour l’avenir du réaménagement de l’Ile de Nantes avec ses nouveaux partenaires : les urbanistes, les architectes, , les paysagistes, les artistes, mobilisés ensemble.
– Philippe Dossal termine son livre en observant la « contamination » de tous les acteurs par le virus de l’art : les commerçants, les entreprises, nous l’avons vu, mais aussi le Service des espaces vert devenu force de proposition. Ce Seve qui « installe des jardins potagers dans les parterres du centre-ville, installe des tables de pique-nique pour que les promeneurs y dégustent des fruits, cueillent des légumes ou des herbes aromatiques » ! Contamination des idées et des imaginaires entre ce Service et ses partenaires de Lieu Unique ou avec Pierre Orefice et François Delarozière (Les Machines de l’Ile) depuis les années 2000, mais aussi contamination grâce au « travail ensemble » pour le vaisseau spatial végétal, l’Aéroflorale » ,ou pour les Jardins flottants, la grande Cantine en forme de serre ou « Le Jardin étoilé » de l’artiste Kinya Maruyama. « Notre collaboration avec les doux dingues du monde de la culture s’est inventée progressivement. On se fertilise les uns les autres », confirme Jacques Soignon, directeur du Seve, qui a même créé un bureau d’étude, au sein du Seve, avec une équipe de paysagistes dédiée aux événements » qui sont les nouveaux interlocuteurs dédiés aux projets de Jean Blaise et de ses équipes. Et deux millions de visiteurs sont venus visiter le jardin des Plantes confié par J.Soignon à l’écrivain Claude Ponti pour le « revisiter ».Le magnifique poussin géant endormi sur la pelouse, ci-dessous, est tout à fait dans la ligne « poésie, humour, tendresse » des équipes aujourd’hui en « fusion » !
CONCLUSION : cet automne sortira le Rapport confié à Jean Blaise par le ministère de la Culture sur l’art et la culture dans l’espace public. « Le constat est assez préoccupant, dit Jean Blaise. Les institutions culturelles se sont refermées sur elles-mêmes et touchent au mieux 10% de la population» (p.120) Souhaitons que la contamination se poursuive et que notre pays tout entier puisse attraper le virus de l’art ! Cela éviterait aussi les tendances du tourisme français à n’utiliser, pour faire des progrès, que les seuls atouts d’une triste banalité car tous les autres pays concurrents de la France les ont aussi, et déjà (Espagne, Royaume-Uni, Australie, Italie, Etats-Unis, Allemagne, etc…) Ces atouts sont à peu près toujours les mêmes, depuis des années. Il faut soutenir et développer, dit le dernier Rapport, les secteurs suivants « Gastronomie, œnologie, promo du pays sur un site web unique, Numérique, Marketing des destinations ou des marques, Formations ……». (On notera au passage que le Golf et les Spa, multipliés il y a cinq/dix ans, ont tout de même disparu des priorités cette année….) . Mais ces atouts classiques suffisent-ils à maintenir notre fréquentation et à l’améliorer ? Notre avis est que tout cela est essentiel, basique “(Bien boire/manger/dormir“), mais ne fait pas levier pour différencier notre offre de celle de nos concurrents, qui sont déjà, pour la plupart, au sommet dans ces domaines! Si la Culture et notre art de vivre sont toujours l’attrait numéro un de notre pays, pour les étrangers, et si plus d’un visiteur sur deux dans nos musées est un touriste, pourquoi ne jamais parler de l’innovation culturelle? Si Lyon, Lille ou Nantes sont autant visitées par des délégations chinoises très curieuses, qui veulent s’inspirer de nos meilleurs modèles du tourisme culturel aujourd’hui, c’est sans doute parce qu’ils ont de l’avenir.
– Enfin nous vous tiendrons au courant de la fréquentation de Nantes cet été car, comme chaque année, Jean Blaise présentera à l’automne le bilan de la fréquentation du Voyage à Nantes et celui des retombées économiques. Il répètera sans doute, comme chaque année aussi, que la fréquentation est en hausse et que l’argent public investi a fait de la Ville, qui n’était pas très culturelle, une destination de choix, à la fois haut de gamme et populaire, pour le tourisme urbain et que de très nombreux jeunes souhaitent, après avoir choisi Nantes pour leurs études, s’y installer!
POUR EN SAVOIR PLUS : l’ouvrage REENCHANTEUR DE VILLE, JEAN BLAISE, par Philippe Dossal – Editions HD, Ateliers Henry Dougier, avril 2015, 128 pages., ( http://www.ateliershenrydougier.com), une collection qui raconte la démarche singulière d’individus ou d’équipages engagés dans des expériences originales qui renouvellent ou réinventent la société.Diffusion Seuil/Volumen. Et pour le Voyage à Nantes, c’est ICI!
– Ci- dessous, une vidéo du retour de Long Ma le cheval-dragon, parti en Chine ! Chaque jour, Long Ma se déplaça librement sur la pointe ouest de l’Île à l’occasion du Voyage à Nantes et durant 10 jours, du 14 au 23 août. Pour le retrouver il fallait partir à sa recherche : le découvrir endormi, au galop, crachant du feu ou mangeant à la cime d’un arbre selon ses envies..
Photos : site de Nantes-Tourisme, et Le Grand Éléphant © Jean-Dominique Billaud
Les horaires de ses apparitions seront donnés au jour le jour sur www.levoyageanantes.fr
KEN LE TOURISTE PARFAIT était, lui, totalement désenchanté! Impossible depuis un mois de dépenser tous ses milliards tellement il voyageait, en bon touriste d’affaires, consommant chaque semaine plusieurs palaces, une dizaine de jets privés ou quelques voitures avec chauffeur…Il arriva à Londres et fila joyeusement pour piller tous les magasins de luxe, histoire de laisser lors de son bref passage un maximum de retombées économiques. Il faut dire que sa chance, pour cette activité, c’était son ex, Barbie chérie, qui, heureusement pour lui, a-do-rait les cadeaux de la Vieille Europe, comme elle disait! Il lui avait donné rendez-vous à la Digital Week de Nantes, mi septembre!
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