Gratuité des musées, une bonne idée?

Quand Sarah Hugounenq , journaliste au Quotidien de l’art, m’a interviewée pour son projet d’article sur la gratuité des musées, j’étais ravie et je la remercie encore aujourd’hui! Ce billet résume donc son article, et comme c’est un sujet qui me passionne, je vous propose aussi quelques pistes de lectures, en complément.
La question de la gratuité des lieux et événements culturels est posée en France mais aussi dans le monde avec les choix suivants :
1- Renoncer à la gratuité, c’est faire contribuer les visiteurs aux ressources financières de la vie du musée (dépenses courante ; expositions..), mais introduire une discrimination pour celles et ceux qui ne peuvent payer (70 euros pour une famille, au Louvre…). Et faire payer unbillet n’attirera peut-être pas des visiteurs potentiels, qui préfèreront une activité gratuite pour leurs loisirs.
2- Instaurer la gratuité d’un musée, c’est affirmer la mission sociale du musée – éduquer, enrichir les connaissances…- et garantir l’accès à tous de la culture, sans discrimination aucune. Créé sous la Révolution française, en 1793, le musée du Louvre instaura la gratuité pour tous comme principe fondateur qui perdurera jusqu’en 1922 (http://www.louvrepourtous.fr/Des-musees-fetent-la-gratuite,217.html#nb4 André MALRAUX en fit, lui aussi, l’un des principe de la politique culturelle du Général de Gaulle, dans son intervention à l’Assemblée nationale, le 9 novembre 1967 : « La Culture sera Gratuite ».Le billet d’entrée est passé aujourd’hui à 17 euros…
3- Les musées furent alors priés de proposer de nouvelles stratégies, afin d’accueillir de nouveaux visiteurs, ces personnes «éloignées » des lieux et pratiques culturelles pour de nombreuses raisons (Education, famille, richesse…). Une bonne moitié des musées décidera de moduler les tarifs et la gratuité selon le profil des visiteurs (Gratuité pour les chômeurs ; les enfants et les jeunes ; les habitants de la ville…Réduction pour les groupes, etc…) ou selon les jours et horaires (Gratuité pour des visites nocturnes et les jours fériés.).Pourtant, l’élitisme de la fréquentation continua…Nous allons voir comment, et pourquoi –  enfin, à mon avis 🙂

I- LE PASSIONNANT BILAN DE SARAH HUGOUNENQ sur la gratuité des musées, aujourd’hui !
En voici un petit résumé, mais vous pouvez aussi acquérir l’article complet pour 3 euros à cette sur ce lien vers le Quotidien de l’art, ICI
Mon petit résumé de l’article :
1- Des musées gratuits en Province…. « Le musée de l’Hospice Saint-Roch à Issoudun est accessible librement pour la totalité de ses activités depuis bientôt quarante ans. À ce pionnier sont venus se greffer les musées de la Ville de Paris (gérés par Paris Musées) en 2002, Dijon en 2004, Rouen en 2016, Avignon en 2018 mais aussi depuis 2020 Angers, Rennes, Le Mans ou Marseille. Nancy, Lille, Tours et Vannes ont récemment étendu les critères de la gratuité »
2- … Mais un recul de la gratuité aujourd’hui
Sarah Hugounenq témoigne surtout d’une perte de vitesse récente de la gratuité, commencée avec la période « Covid » qui fit subir de lourdes pertes à tous les établissements culturels, faute de visiteurs.
Versailles augmente donc, son billet ( +1,50€ cet été, et ses Jardins( Soixante-dix euros pour une classe !) pour compenser ces pertes et anticiper la hausse de l’électricité . Même les visites scolaires n’ont plus beaucoup de créneaux de gratuité de visites gratuites.
– « À Bordeaux, où la facture énergétique totale de la ville devrait quintupler en 2022 pour atteindre 25 millions d’euros, c’est la remise en cause de la gratuité des scolaires venant de l’extérieur de la ville qui a fait polémique cet été, huit ans après la renonciation à la gratuité pour tous mise en place en 2005. »
– À La Roche-sur-Yon, la fin de la gratuité est aussi envisagée ; Amiens a un projet d’ un projet de vote d’augmentation des tarifs du musée de Picardie

3- Le coût de la gratuité : la gratuité a bien sûr un coût, ce que démontre l’article avec quelques exemples : « L’expérimentation de la gratuité pendant six mois en 2008 a conduit à une perte sèche de 250 millions d’euros pour les musées nationaux.[…]Côté musées territoriaux, le manque à gagner est modique : 116 000 euros à Marseille, 160 000 à Rouen, soit moins de 2 % du budget global de leurs musées.
4-Les meilleurs exemples  sont cités et présentés comme des réussites, avec de très bons arguments ou en détails : la National Gallery de Londres, le Prado à Madrid, ou les musées de la Ville de Paris tiennent bon sur la gratuité et cherchent ailleurs de nouvelles sources de financement.
Ce tableau positif n’exclue pas quelques menaces qui risquent de faire disparaitre le bel équilibre entre projet social, éducatif et gratuit, et équilibre financier des musées via du mécénat ou des boutiques d’objets créatifs ou de livres.
« À l’heure où la crise énergétique sévit et les dépenses de fonctionnement des musées explosent, la tentation de faire de la billetterie une variable d’ajustement est grande et les débats sur la pertinence de la gratuité se multiplient », dit Sarah Hugounenq. Rappelons que cet été même Strasbourg , pourtant Capitale européenne de la Culture (2021-23 ), septième destination touristique française, a décidé de fermer une journée de plus , dès ce mois d’octobre, ses onze musées ; et de fermer une heure à l’heure du déjeuner…
5- Faire des économies sur les dépenses des sites culturels, qui sortaient à peine de la triste années de pandémie où ils furent les premiers fermés, interroge. Pas mieux, impactant moins l’éducation des jeunes et le plaisir des habitants, dans le budget de la ville, que la Culture ? On peut tout de même en douter. Aux habitants de choisir, via leurs “élus”.
 QUELQUES CONCLUSIONS
La fréquentation des musées est en hausse, à Paris mais aussi partout en France : « l’ensemble des musées de France, sont passés de 45,6 millions de visiteurs en 2005 à 56,2 millions en 2009 . Une hausse qui est moins liée à la gratuité qu’au développement du tourisme, de l’offre culturelle, ainsi qu’à une mobilité accrue. La question est donc moins la quantité que la qualité. »
Mais la fréquentation serait de plus en plus élitiste, avec 80% des cadres et 32% des employés et ouvriers qui ont visité un site patrimonial ou un musée en 2018, contre respectivement 70% et 44% en 1973.
Sarah Hugounenq m’a laissé, si j’ose dire, le mot de la fin dans la dernière partie de l’article, pour redonner espoir à des musées qui doivent changer.
♥Je pense, très franchement, pour avoir travail pendant plus de 30 ans dans les musées (Marseille, puis Orsay, puis en France (Direction des musées de France, Observatoire Permanent des Publics, Hip Hop dixit dans les quartiers dits «difficiles »,etc… ), qu’une nouvelle génération de professionnels sait accueillir, conduire, faire comprendre (Museomix). Les musées proposent des expositions plus accessibles, bien éloignées des « thèses universitaires mises en expositions », de nombreux musées dans les années 1970-2000 (et qui existent encore aujourd’hui !).
Même si cette génération n’est pas encore aux manettes, dans les musées en en France, c’est elle qui pourra transformer les muses, comme elle le fait pour les Bibliothèques en ce moment.
– PASSER DE LA CONSERVATION A LA CONVERSATION », avait prédit Samuel Bausson, depuis sa Bretagne créative en 2009!(Voir mon billet du blog ICI !) e crois donc beaucoup à toutes les expérimentations en cours, au travail avec les habitants, les associant de façon horizontale aux décisions importante et aux choix des expositions. Sylvain Amic aux musées de Rouen –Normandie, (Voir mon billet sur la Chambre des Visiteurs,  ICI !) a démontré que ces fortes mutations des musées en France sont possibles et souhaitables. Elles sont très présentes aux USA (Nina Simon en Californie et son Participatory Museum)
On peut aller plus loin, comme le font les bibliothèques, depuis quelques années, poussées par des vents de « démocratie participative et gouvernance contributives » venu des…Bibliothèques bretonnes mais aussi le la BNF (Silvère Mercier pour la BNF Michel Briand et ses amis bretons). Associer et faire participer, grâce à toutes ces méthodes du «Design de Service Public » de nos Jeunes à qui il ne fait pas donner la parole mais la leur laisser!
Voilà pourquoi, gratuites ou payantes, je ne crois plus aux pratiques et expositions qui “en donnent plus, mais toujours aux mêmes”, comme le montrent les statistiques (Cf.les chiffres dans notre conclusion, ci-dessus). Ce que Sarah Hugounenq a bien résumé, à la fin de son article:
« Pour Évelyne Lehalle, « l’offre est le vrai ressort de la démocratisation. Or, les questions d’attractivité, de confort, d’implication du visiteur, de convivialité de la culture, ne sont que peu évoquées par les musées car ils les considèrent comme vulgaires. »
“Gageons que les débats sur la démocratie participative et la gouvernance contributive bouleverseront cet état de fait” a conclu Sarah Hugounenq !

POUR EN SAVOIR PLUS /
Fréquentation et politique tarifaire- Claude Fourteau, experte en tarification – Comment faire un prix ? – et qui imagina la première carte de fidélisation pour la culture (Centre Georges Pompidou), bien différente des « Amis de Musées »:
« Toutes les études l’ont montré : le prix n’est pas le seul obstacle à la fréquentation des équipements culturels, ni même le principal. Si les obstacles symboliques – la « distance culturelle » dont parle Pierre Bourdieu – sont sans doute plus prégnants, il n’en reste pas moins que le facteur « prix » est important dans la définition des politiques culturelles parce qu’il joue tout à la fois sur la viabilité économique des institutions (niveau des ressources), leurs fonctions sociales et sans doute également sur leur image (volume et composition de la fréquentation). L’État-providence a toujours cherché à compenser les effets sociaux de la stricte logique économique à travers une politique tarifaire favorable aux milieux défavorisés. Lire la suite, ICI (Pdf, 4 pages).
Texte sur les musées suisses : Passeport pour les musées suisses et politiques tarifaires :
François Rouet, Les tarifs de la Culture , 2002, sous la direction de François ROUET A lire ici : www.culture.gouv.fr/Thematiques/Etudes-et-statistiques/Publications/Collections-d-ouvrages/Questions-de-culture-2000-2022/Les-Tarifs-de-la-culture_ 383 p.- ISBN 978-2-11-005275-9
La gratuité dans les musées et monuments en France : quelques indicateurs de mobilisation des visiteurs de Jacqueline Eidelman et Benoît Céroux – Dans Culture études 2009/2 (n°2), pages 1 à 23, en ligne et gratuit : Bruno Maresca : N° 179 – novembre 2004 Quel « prix » pour le Louvre ? La stratégie tarifaire au service de l’élargissement du public Bruno Maresca  ou encore La Nocturne du Louvre, un bon plan pour les jeunes : à lire ICI.
–  Généraliser la gratuité des musées nationaux? Une mauvaise réponse… à une mauvaise question
par Françoise Benhamou, à lire ICI.


KEN LE TOURISTE PARFAIT  sortait de sa piscine quand Barbie arriva toute ravie: “Si je te donne l’adresse de ton rival, Action Joe, tu me donnes combien? “. “Mais Barbie, j’espère que tu plaisantes, tu me la donnes gratuitement, cette adresse, eh voilà!”. “Mais bien sûr que non! Tu dois  payer cette information, Ken! Moi, je ne suis bénévole QUE pour le Musée de Los Angeles…”

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