Amis du Tourisme,
avec votre région, votre ville, votre pays ou le monument dont vous avez la charge, vous avez souvent dû penser « Mais c’est quoi, au juste, son histoire ? ». Et puis vous avez laissé choir, vous avez laissé tomber. Car au fond, les historiens et la Culture étaient là pour ça, pensiez-vous, qui raconteraient bien tout cela, c’etait leur job, après tout! Et Zou! Partage des tâches : vous avez délégué!
De l’inconvénient de déléguer, hé hé…
Oui mais voilà, quand on raconte une histoire approximativement, celle, en particulier, ou personne, pas même vous, ne peut recoller les morceaux, eh bien, les touristes, ces Autres, ces hôtes de passage, n’y comprennent rien et, bizarrement, s’accrochent à leur planche de surf ou à leur rando de l’après-midi ! Car si les visiteurs comprenaient, à mon avis, ils en redemanderaient, ils seraient enthousiastes : comprendre est tellement agréable.
EXPLICATIONS
Reprenons ces généralités, mais avec vous au centre du paysage et « in situ » : il vous est donc arrivé, au moins une fois, de vouloir comprendre l’histoire, qui pouvait expliquer un lieu ou un pays, aujourd’hui. Et , quand on vous l’a racontée, neuf fois sur dix, cela a donné :
– L’ennemi arriva à l’aube du 28 juin 1124, avec une armée de plus de cent hommes, ce qui était beaucoup pour l’époque, et rasa le château !
– Oui …oui, avez-vous dit ! (Comment ne pas être d’accord ?) Et vous avez même ajouté : c’est super de savoir TOUT ça, merci pour TOUT !
Mais, au fond, tous ces faits précis ne vous renseignaient pas vraiment.
– Vous, c’est plutôt « Qui était l’ennemi ? », ou bien « Mais pourquoi ils ont rasé le château ? » qui vous auraient intéressé, mais voilà, l’historien vous a, pour ainsi dire, cloué le bec avec sa précision…Ce fait a eu lieu tel jour à telle heure, dans telles et telles conditions, relatées dans tel et tel ouvrage, de l’époque, dans les archives les plus récentes, bref, comment poser une autre question, cela devait probablement suffire…
Françoise Vergès et Nicole Pot
Aujourd’hui, dans un article du journal Le Monde, deux femmes superbes et merveilleuses, Françoise Vergès, directrice scientifique de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise.
et Nicole Pot, directrice générale de l’INRAP –institut national d’archéologie préventive- ont tenté de dire que, dans les DOM, « Personne n’y comprenait rien ou pas grand chose », et que, si c’était possible, avoir un petit peu plus d’histoire et d’explications, ce serait super pour que les habitants soient les premiers informés. Moi, je pense que le regard de l’Autre, le touriste, peut aussi compter dans cette demande d’histoire, vu qu’il représente plus de 50% des visiteurs et donc aussi des habitants, même temporaires, nomades, de l’Ile de La Réunion.
Nicole Pot et Françoise Vergès sont chacune un sommet de la réflexion et de l’intelligence, elles sont aussi patientes et calmes. Leur article DOIT être une de vos lectures de l’été, quoi que l’on vous conseille d’autre, j’insiste. A lire absolument, même en sandwich entre un Gala et un bon petit Arlequin, je connais votre tentation de lire « du bien bête » en vacances. (Toute l’info dans notre « Pour en savoir plus, ci-dessous).
Françoise et Nicole à la loupe
La première, Françoise, a élaboré le plus magnifique projet de musée qui soit. C’est la MCUR, Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise , projet qui, tout simplement, émet l’idée que La Réunion n’était pas une terre vierge de passé lors des différentes arrivées des populations des continents qui ont peuplé l’Ile, (Dire que les Terres étaient Vierges arrange tout le monde, en général, car arriver en terre vierge ne dérange personne et suppose qu’il n’y a eu aucun fait particulier ou notable. Ils sont arrivés, ont posé leur bagage, et voilà tout !).Mais convenez qu’il faut raconter toute l’histoire comme elle s’est réellement passée, et chercher des indices, des preuves pour construire tout cela.
Hélas, trois fois hélas, la République a beaucoup gommé, et souvent l’histoire de La Réunion est résumée à l’histoire de la départementalisation française, quasiment effacé des siècles d’un trait debleu/blanc/rouge. Le souhait de Françoise V est donc que l’on cherche, puis trouve, enfin, tous ces matériaux si fragiles que sont les récits des héritiers des premiers habitants ; que des hypothèses et des réponses soient faites à partir de questions essentielles à la compréhension de toute lecture d’un homme, aujourd’hui, du paysage de l’Ile et sur les terres magnifiques de La Réunion. Et que les fouilles archéologiques y prennent place, plus vite qu’en métropole, car un grand retard a été pris.
Nicole P, dans un tout autre genre, a toujours été très forte, la meilleure d’entre nous, dirait-on, à la Culture. Aujourd’hui, à la direction de l’INRAP, elle s’applique à démontrer que l’archéologie ne sert pas qu’aux archéologues, et peut découvrir la merveille des merveilles, le sens du monde, ce que l’on y voit. Et qu’il faut donc fouiller, analyser, expliquer, avant de mettre à jour.
« Sa » centaine d’archéologues est prête à tout révéler. Même des histoires soigneusement cachées parce qu’elles n’étaient pas assez fédératrices pour unir les différentes vagues d’arrivants.
En quelque sorte, ces deux femmes sont des militantes, car cela réclame du courage- pour que l’histoire, les histoires des régions, des pays, soient un peu moins fantasques qu’elles ne le sont aujourd’hui ! Voilà aussi un magnifique défi pour les médiateurs de la culture, souvent en panne de missions majeures, et qui transmettent aussi très souvent ce qu’on leur a dit de transmettre, à partir de ce qu’on leur a donné, sans remise en question.
Certes, ce qu’il faut dire au Tourisme, c’est que refaire l’histoire est difficile. Cela bouscule un ordre établi. Cela bouscule parfois des équilibres politiques, des pactes de non-agression, une paix idéologique. Par exemple, si vous avez le malheur d’aller, même une demi seconde, contre l’un des rôles de la République, qui-a-tout-unifié-et-heureusement, ou bien si vous critiquez le Mallet –Isaac, bible de l’histoire française bien normée, votre parcours sera difficile, comme l’est d’ailleurs toute velléité de décentralisation, de prise en main par chaque territoire de sa destinée. L’histoire récente des régions à forte identité (Corse, Catalogne, Pays-Basque…) ne raconte que cela, cette difficulté.
C’EST UNE AFFAIRE QUI MARCHE !
Et pourtant, les choses sont en train de changer. Vous vous souvenez de mon billet sur Nantes, la valeureuse ? Qui, l’une des premières, a fait son « coming out » du côté de l’origine de la richesse des bourgeois nantais qui devait tellement à la traite négrière? Avec une somptueuse exposition, les Anneaux de la Mémoire ? La Vendée reprit aussi l’histoire « officielle », qui ne tenait pas la route. Eh bien, d’autres régions, d’autres villes devraient sans doute faire ces mises à jour, dirait-on en informatique. Car on meurt, non pas du non-dit, mais surtout des retards, des paresses intellectuelles, des formes multiples d’auto-satisfaction. Pour être vivant, un territoire doit se présenter comme une histoire, des résultats, un atelier de possibles, un futur. Et tout cela ne peut être figé, doit être en mouvement (Nouvelles générations, géographies ; nouvelles hypothèses, etc..), sous peine d’arrêt, de rigidification.
Et là, nous ne sommes pas trop en avance, en France. Rappelons que les USA ont commencé leur lifting dans les années 70. Les Canadiens un tout petit peu plus tard, très surpris par les fausses légendes que leur racontaient (en riant beaucoup, après coup…) « leurs » indiens ; ils en avaient fini par croire qu’ils avaient hérité de « mauvais indiens », ceux dont les américains ne voulaient pas… Oui, car la bêtise est sans limite, sauf celle que lui oppose les connaissances.
D’autres pays travaillent à présenter leur histoire, aujourd’hui. La Tunisie, par exemple, n’est pas QUE Carthage et Rome, culturellement. Ce n’est pas parce que des archéologues européens ont a-do-ré y fouiller énormément et y trouver les restes de Carthage et de Rome que ces époques seraient les plus importantes de la Tunisie. De notre point de vue, nous pensons que l’histoire de la Tunisie, sur plusieurs siècles, et hors présence romaine, est d’ailleurs mille fois plus passionnante.
L’histoire est tout de même une enseigne, une carte de visite touristique, une marque. C’est elle que l’on affiche très souvent sur les dépliants touristiques, à travers un paysage ou un monument. Elle doit donner envie, attirer, donc être comprise. On ne peut donc la réduire, la malmener, si l’on peut faire autrement.
LECTURES DE VACANCES
Voilà pourquoi j’ose vous tirer de votre sieste et de votre insouciance permanente, en ce moment. Ou bien pourquoi je n’hésite pas à faire diversion à vos angoisses ordinaires (la crise économique , l’avenir de petits, le boulot de la grande ou la réforme territoriale à venir…).
Soyez disponibles pour revoir, même un peu, collectivement, l’histoire locale.
et POUR EN SAVOIR PLUS …
– L’article formidable et novateur de Françoise Vergès et de Nicole Pot : L’esclavage oublié, Françoise Vergès et Nicole Pot, Le Monde daté du 20.07.09
– D’autres articles sur le sujet de l’actualité de l’histoire, dans le Monde:
Il faut renouveler la pensée critique, par Michèle Riot-Sarcey , du 21 juillet 2009
Transformations silencieuses, par François Jullien
– Le meilleur projet Culturel et Scientifique de France, depuis au moins dix ans!
http://www.mi-aime-a-ou.com/maison_des_civilisations.htm
http://www.regionreunion.com/fr/spip/spip.php?page=rubrique&id_rubrique=90
– Avec deux ouvrages formidables pour vous sortir, même un petit peu, du Mallet Isaac : Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Françoise Vergès, La République coloniale, Hachette Littérature, Albin-Michel, 2003-, ou la Fracture coloniale, de Nicolas Bancel et Pascal Blanchard. Pour développer, reprendre les bibliographies de ces ouvrages en format poche, en plus, autour de 6 ou 7 euros, soit une ou deux glaces à deux boules la vanille…
Ajoutons enfin Le livre de Jean Teulé, « Mangez-le si vous voulez ! » sorti récemment, assez horrible. Il raconte comment un petit groupe d’hommes et de femmes peuvent accuser, torturer, tuer l’innocent de passage, parce qu’il avait..Il avait quoi, déjà ? Réponse, e gros : « Ben, on ne sait plus…On ne sait pas ce qui s’est passé, ce qui nous a pris .Mais si on l’a fait, c’est parce nous étions inquiets, pour notre avenir, notre survie…Il faut pas nous en vouloir…On n’a pas été terribles sur ce coup-là, c’est vrai… » dirent, en résumé, les tortionnaires à leur procès. Des culpabilités, normales, des imbécilités, humaines, rien de tout cela n’est indicible. Ed.Julliard, 7 mai 2009 144 p ISBN : 9782260017721.
KEN AU ZENITH !
. Du moment que son jet privé est prêt, qu’il va bien s’amuser, entre deux contrats d’affaire mirobolants, Ken est et demeure le Touriste parfait, docile, qui croit dur comme fer aux dépliants touristiques. Les remises en question, très peu pour lui. Le monde est ce qu’il est. Ken « beauf » ? Que nenni. L’archéologie le « gonfle, voilà tout », dirait-on assez vulgairement aujourd’hui, et il leur préfère les musées d’art. Plus simple de comprendre, d’y aimer ce que l’on voit. Quelques squelettes et des alignements de petits os ou morceaux de poteries?Ca lui rapelle les visites obligatoires à l’école. Notez qu’il les aimait bien, ces sorties éducatives, parce qu’on sortait de l’école, l’instit était plus cool – elle, elle adorait les musées – Et aussi il avait arrêté ado, car ses parents, trouvaient ce type de sortie “enrichissante”, “Comme ça tu feras au moins quelque chose d’intelligent”, ne manquuaient-ils pas d’ajouter. Avec leurs millions de petits chinois qui en révaient, de musées, mais ne pouvaient y aller, etc…etc…Dég, en quelque sorte’, l’amour des parents pour les musées, rien que ça et il avait envie de sécher….Il ne comprend d’ailleurs jamais pourquoi on lui montre, aujourd’hui encore, dans les musées d’archéologie, 120 petites flèches alignées par ordre de taille..Une seule aurait suffirait, à son avis, mais bon, ce n’est vraiment pas son problème et il n’en a parlé à personne, de cette question d’alignements et d’accumulation.
A sa petite collection de femmes, il ajoute, aujourd’hui, un Renoir. Là au moins il est en terrain connu, il y en a plein dans ses chambres d’hôtel, souvent au dessus de son lit, d’ailleurs. Ou dans ses revues d’aéroport. Et, que voulez-vous, c’est cumulatif, plus il les voit, il apprend, plus il les aime, les femmes de Renoir.
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